Plaidoyer pour une Europe de la Convivialité

Cette tribune a été publiée en version originale le 22 mai 2014 sur le site de l’express.fr.
Lire l’article en version publiée en ligne.

A l’approche des élections européennes et du flot eurosceptique qui risque de s’abattre, il est urgent pour notre contributeur Romain Seignovert, de revaloriser l’Europe du partage et de la convivialité.

L’Europe se présente souvent comme une auberge espagnole, où chacun apporte dans une maison commune ses références culturelles et son mode de vie. Lorsque le réalisateur français Cédric Klapishdépeint en 2002 cette grande colocation européenne, il saisit tout l’esprit d’une nouvelle génération, mobile et curieuse, à l’avant-garde d’une certaine forme de vivre ensemble et porteuse d’une solidarité européenne renouvelée…

Florilège de la pensée eurosceptique

C’était toutefois sans compter sur les plus eurosceptiques de la bande, et leur volonté de quitter la colocation. Dans les couloirs de notre maison commune, on entend désormais un certain Nigel Farage, chef du parti britannique UKIP, vouloir “rentrer chez lui“. On surprend un Beppe Grillo, leader populiste italien, répéter à tout va “a casa!” “a casa!“. On entend aussi une Marine Le Pen, cheffe du parti d’extrême droite français, fustiger ceux qui auraient “remis le double des clés à des inconnus“. Laquelle est soutenue par un certain Geert Wilders, à la tête du parti néerlandais de la liberté, qui souhaite à chacun de redevenir “maître chez soi”. Quand ce n’est pas, enfin, aux proches de Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche français, de proposer carrément de” raser la maison, de la cave au grenier“. On aura vu ambiance plus chaleureuse…

Il faut dire que ces colocataires particulièrement bruyants ne manquent pas de panache. En bons communicants, ils ont su exploiter la sensibilité des menaces à l’identité nationale, aux libertés individuelles, à la prospérité collective. Dans les médias, ils ont investi le terrain de l’émotion, là où personne n’osait jusqu’alors s’aventurer.

La maison Europe est surpeuplée? La faute à une mauvaise gestion qui laisse entrer trop de nouveaux arrivants, lesquels menacent de prendre la place des anciens.

Les charges communes sont trop élevées? Il faut mettre un terme à l’existence aberrante d’un budget commun et dénoncer les gaspillages.

Peu importe, souvent, le bien-fondé théorique de leurs propositions, ces colocataires récalcitrants ont compris la logique médiatique du story-telling: formuler une histoire, personnaliser un récit, illustrer concrètement des propos, voire, montrer du doigt quand il le faut. Et les journalistes, avides de nouvelles histoires à raconter, ne manquent aucune occasion de tout rapporter…

Le storytelling contre l’utilitarisme: un combat inégal

De l’autre côté, les colocataires les plus euro-enthousiastes ont beau protester, leur voix médiatique porte peu. Il faut dire qu’ils s’y prennent plutôt mal, avec leurs arguments d’une froide rationalité. Continuer la colocation? Il le faut au nom de la raison économique, de l’utilité géopolitique ou du bien-fondé des règles communes. ‘Boring!’ pensent nos journalistes, qui, à défaut de tout comprendre, se désintéressent du sujet. Car pour attirer leur oreille, il faut savoir poser une intrigue, nourrir un dialogue, faire parler les émotions. Or, il faut bien le reconnaître, les euro-enthousiastes jettent plutôt un froid lorsque, à table, ils parlent de marché commun, d’union bancaire ou de convergence des normes. Comme si, incapables d’expliquer les raisons affectives du projet européen, nos euro-enthousiastes en donnaient des justifications pratiques. Mais en amitié, comme en amour, on n’a jamais touché les coeurs avec des arguments utilitaristes…

Que faire alors, pour éviter que notre maison commune ne se vide progressivement de ses membres? Il faudrait rendre notre projet de colocation à nouveau ‘sexy’.

Pour une ode à “l’Europe de la convivialité”

En place d’une ‘Europe de l’utile’, il faudrait redéployer cette ‘Europe de la convivialité’ qui a fait autrefois l’attractivité de notre auberge espagnole. Une convivialité au sens originel du terme, convivium, du plaisir de ” vivre ensemble “. Cette ‘Europe de la convivialité’ parle déjà aux 3 millions d’étudiants qui ont connu Erasmus, aux habitants des 17 000 villes qui se sont jumelées à travers l’Europe, aux 350 000 couples bi-nationaux qui se disent ‘oui’ chaque année. Cette ‘Europe de la convivialité’ réunit déjà chaque année des milliers de personnes dans les festivals européens, dans les expositions itinérantes, dans les tournois sportifs européens. Alors pourquoi ne pas repenser l’organisation de notre maison commune sur ce qui met en contact ses colocataires?

Et, enfin, innover, oser, réinventer. Nos euro-enthousiastes pourraient par exemple soutenir la création de nouveaux programmes, plus fédérateurs, plus affectifs, pour que les apprentis pâtissiers partent apprendre les recettes de leurs voisins et les fassent découvrir aux autres à leur retour ; pour que les artistes de toute l’Europe s’invitent davantage sur les scènes et dans les médias de leurs voisins, et communiquent ainsi toute leur créativité ; pour que les fêtes conviviales d’un pays trouvent un plus grand écho chez leurs voisins, et que soient invités davantage de délégations à assister à la fête du roi au Pays-Bas, aux fêtes de la bière allemandes, aux ferias espagnoles… Car, au fond, qui refuserait de boire un verre avec ses colocataires?

Mais le temps presse et notre colocation est menacée. Ailleurs, l’ancien Président français Jacques Chirac disait “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs “. Cela n’a jamais été aussi vrai pour l’Europe. Si nous ne prenons garde, les colocataires eurosceptiques pourraient bientôt rompre le bail. Et il ne nous resterait alors plus que la nostalgie d’une année Erasmus qui s’achève…

Back to op-eds