Serbie – Le Pommier d’Or et les Neuf Paonnes
II était une fois un tsar qui avait trois fils et, devant son palais, un pommier d’or ; en une nuit, l’arbre fleurissait, et ses fruits mûrissaient. Mais un inconnu les cueillait tous, sans qu’on pût le découvrir. Un jour, le tsar consulta ses fils :
— Où donc disparaissent les fruits de notre pommier ? L’aîné suggéra :
— Cette nuit, je surveillerai l’arbre pour voir qui les vole.
A la tombée du jour, il alla se coucher sous le pommier pour le garder. Mais au moment où les fruits commençaient à mûrir, il s’endormit. Et quand il s’éveilla, à l’aube, l’arbre était déjà dépouillé. Et il lui fallut bien aller conter à son père toute la vérité. Alors le fils cadet se proposa pour surveiller le pommier. Mais il subit la même mésaventure que son aîné : il s’endormit sous l’arbre et, à l’aube, quand il s’éveilla, il n’y avait déjà plus un fruit.
Enfin, ce fut le tour du benjamin de prendre la garde. Il se prépara, installa une couche sous le pommier, et s’y étendit. Un peu avant minuit, il se réveilla et jeta un coup d’œil sur l’arbre : les pommes [1] avaient déjà commencé à mûrir, et leur éclat illuminait tout le palais. A ce moment précis, fendant l’air, arrivèrent neuf paonnes [2] d’or. Huit d’entre elles s’abattirent sur le pommier, et la neuvième se posa sur le lit. A peine installée, elle se transforma en une jeune fille, si belle qu’elle n’avait pas son égale dans tout le royaume. Le prince et l’inconnue s’étreignirent et s’embrassèrent jusqu’après minuit.
Alors, elle se leva et le remercia pour ses pommes. Le prince l’implora :
— Laisse-m’en au moins une !
Et la jeune fille lui en donna deux : une pour lui et l’autre pour son père. Ensuite, elle redevint oiseau et s’envola avec ses compagnes. Au point du jour, le prince sauta de sa couche et rapporta les deux fruits à son père. Le tsar en fut ravi, et il félicita son plus jeune fils.
Le soir suivant, de nouveau, le jeune prince s’installa, comme la veille, pour garder le pommier. Tout se passa de la même façon et, le lendemain, il rapporta à son père deux nouvelles pommes d’or.
Mais après plusieurs nuits de réussite, ses frères commencèrent à le jalouser. Pourquoi n’avaient-ils pas réussi, eux, à garder ces fruits, comme il y parvenait, lui, chaque nuit ?
C’est alors qu’une maudite vieille [3] vint se mêler à l’affaire : elle leur promit de fouiner, et de découvrir comment le jeune prince avait sauvé les pommes d’or.
Elle se glissa, le soir venu, jusqu’à l’arbre et parvint à se tapir sous le lit. Le jeune homme vint peu après et, comme à l’accoutumée, il se coucha. Aux environs de minuit, arrivèrent les neuf paonnes ; les huit premières se posèrent sur le pommier, la neuvième sur le lit, et elle se métamorphosa en jeune fille.
Sa tresse pendait le long du lit. La vieille, doucement, la saisit et la coupa. Aussitôt la jeune fille bondit, se changea en paonne et s’envola ; ses huit compagnes abandonnèrent aussi le pommier, et elles disparurent toutes ensemble. A son tour, le prince se jeta au bas de la couche, en criant : « Que se passe-t-il ? »
Et il fut tout étonné d’apercevoir la vieille sous le lit. Il l’empoigna et l’extirpa de son recoin. Et le lendemain, sur son ordre, elle fut attachée aux queues de quatre chevaux, et écartelée.
Cependant les paonnes ne venaient plus sur le pommier. Et, sans trêve, le prince se lamentait et pleurait leur absence. Enfin, il décida de courir le monde à la recherche de sa paonne, et de ne revenir que lorsqu’il l’aurait retrouvée.
Alors, il s’en fut voir son père et lui annonça son intention. Le tsar tenta de le dissuader ; il le raisonna, voulut le faire renoncer à son projet, et, pour cela, promit de lui trouver une jeune fille à son goût : on chercherait dans tout le royaume. Mais toutes les raisons du roi furent vaines : le prince s’équipa et, accompagné d’un seul valet, il partit dans le vaste monde à la recherche de sa paonne.
Longtemps, il voyagea ainsi, de par le monde. Et, un jour, il parvint au bord d’un lac, où il trouva un grand et riche palais. Et, dans le palais, vivait une vieille tsarine, en compagnie d’une jeune beauté, sa fille. Il interrogea la tsarine :
— Pour l’amour de Dieu, grand-mère, sais-tu quelque chose de neuf paonnes d’or ?
— Bien sûr, mon fils, je les connais. Chaque jour, à midi, elles viennent ici, pour se baigner dans le lac. Pourtant, je te conseille de renoncer à tes paonnes. Je te donnerai mon enfant ; c’est une fille splendide, et tu hériteras de tous mes immenses trésors.
Mais, dans sa hâte de revoir les paonnes, le prince ne voulait même pas écouter ce que la vieille tsarine lui racontait sur sa fille. Et, le lendemain matin, il se leva et se prépara pour aller jusqu’au lac et y attendre les paonnes.
Cependant, la tsarine soudoya le valet et lui confia un petit soufflet à attiser le feu :
— Tu vois ce petit soufflet ? Quand vous serez au lac, à la dérobée, souffle un peu dans le cou de ton maître. Il s’endormira aussitôt et, ainsi, il ne pourra pas converser avec ses paonnes.
Le funeste valet obéit. Quand ils arrivèrent au lac, il saisit la première occasion pour souffler dans le cou de son maître avec le petit soufflet, et le malheureux s’endormit immédiatement, comme une souche. Il n’était pas plus tôt assoupi que les neuf paonnes arrivèrent ; les huit premières s’abattirent sur le lac, et la neuvième se posa sur le cheval du prince. Elle étreignit le jeune homme pour l’éveiller :
— Lève-toi, mon trésor ! Lève-toi, mon cœur ! Lève-toi, mon âme ! Mais il restait inerte, comme mort. Après leur bain, les paonnes
s’envolèrent, toutes ensemble. Aussitôt, le prince se réveilla et demanda à son valet :
— Que se passe-t-il ? Sont-elles venues ?
— Oui, elles sont venues. Huit ont plongé dans le lac, et la neuvième s’est posée sur ton cheval. Elle t’embrassait et voulait te réveiller.
A écouter ces paroles, de désespoir, le pauvre prince était prêt à se tuer.
Le lendemain matin, il s’équipa, monta son cheval et, suivi de son valet, il s’en fut, au petit trot, le long du lac. Le serviteur trouva encore une occasion de lui souffler dans le cou avec son petit soufflet ; et le prince s’endormit comme une souche. A peine était-il assoupi que les paonnes arrivaient : huit s’abattirent dans le lac, et la neuvième se posa sur le cheval du prince. Elle se mit à embrasser le jeune homme pour l’éveiller :
— Lève-toi, mon trésor ! Lève-toi, mon cœur ! Lève-toi, mon âme ! Rien n’y fit : il dormait d’un sommeil de mort. La paonne avertit le valet :
— Dis à ton maître qu’il pourra nous accueillir ici, demain encore. Et qu’ensuite, jamais plus il ne nous verra en ce lieu.
Et, une fois de plus, elles s’envolèrent. Le prince s’éveilla aussitôt après leur départ, et interrogea son valet :
— Dis-moi, sont-elles venues ?
— Oui. Et elles t’avertissent que demain sera le dernier jour où tu pourras les accueillir. Ensuite, plus jamais elles ne reviendront ici.
A ces mots, le malheureux perdit la tête : de peine et de tristesse, il s’arrachait les cheveux.
A l’aube du troisième jour, de nouveau, il se prépara pour aller au lac, et enfourcha son cheval. Mais, cette fois-ci, il ne voulut pas se promener sur la rive ; pour ne pas s’endormir, il se lança au galop.
Pourtant, tant bien que mal, son valet trouva une nouvelle occasion de lui souffler dans le cou avec le petit soufflet.
Le prince s’affala sur son cheval et s’endormit à l’instant. Dès qu’il fut assoupi, arrivèrent les neuf paonnes ; huit se précipitèrent dans le lac et la neuvième se posa sur le cheval du prince. Elle embrassait le jeune homme et le secouait :
— Lève-toi, mon trésor ! Lève-toi, mon cœur ! Lève-toi, mon âme ! Rien n’y fit : il dormait, comme assommé. Alors la paonne dit au valet :
— Quand ton maître se lèvera, donne-lui bien ce conseil : « Abats le clou d’en haut vers celui d’en bas [4] ! Alors seulement, il me retrouvera. »
Et les paonnes s’envolèrent. Aussitôt après, le prince s’éveilla.
— Sont-elles venues ?
— Oui, elles sont venues. Et celle qui s’est posée sur ton cheval m’a dit : « Abats le clou d’en haut vers celui d’en bas ! » Et qu’alors seulement, tu la retrouveras. »
A l’instant, le prince dégaina son sabre, et trancha net la tête du valet. Et il continua seul sa quête, à travers le vaste monde.
Après une longue route, il arriva sur une montagne et passa la nuit chez un ermite qui vivait là.
— As-tu entendu parler de neuf paonnes d’or ?
— Eh ! mon fils, tu as de la chance ! C’est Dieu lui-même qui t’a guidé jusqu’au bon endroit : car pour parvenir à elles, il n’y a qu’une demi-journée de marche. Va tout droit : tu trouveras un grand portail ; quand tu auras franchi ce portail, garde ta droite, et tu atteindras leur ville, où tu trouveras leur palais.
Le lendemain, au point du jour, le prince se leva, s’équipa, remercia l’ermite, et prit le chemin indiqué. En effet, il trouva le grand portail ; après l’avoir franchi, il tourna à main droite, et, aux environs de midi, aperçut une ville éclatante de blancheur. Et fut transporté de joie.
A peine entré dans la ville, il s’enquit du palais des paonnes d’or. La garde l’arrêta à la porte et lui demanda qui il était, et d’où il venait. Il s’en expliqua et, alors seulement, on l’annonça à la tsarine, maîtresse de ces lieux. A l’instant même, celle-ci, hors d’haleine, se précipita vers lui, sous sa forme de jeune fille. Elle le prit par la main et le conduisit dans le palais. Quelle liesse, quel débordement de joie ! Quelques jours après, ils se marièrent. Et le prince resta vivre auprès de sa femme.
Mais un jour que la tsarine allait se promener, sans son mari, elle lui confia les clés de douze caves, et lui dit :
— Tu peux visiter toutes les caves, sauf la douzième. N’y entre à aucun prix ! Ne l’ouvre même pas : c’est ta tête que tu joues !
Là-dessus, elle partit. Resté seul au palais, le prince s’interrogeait :
— Mais que peut-il donc y avoir dans la douzième cave ?
Il entreprit de les ouvrir, l’une après l’autre. Arrivé à la douzième, il commença par hésiter. Mais quelque chose l’intriguait : que peut-il y avoir là-dedans ? Enfin, il passa le pas, et ouvrit la porte.
A sa grande surprise, il vit une pièce vide et, en son centre, un énorme tonneau débouché, cerclé de fer, d’où sortit une voix :
— Pour l’amour de Dieu, frère ! Je meurs de soif ! Par pitié, donne-moi un verre d’eau !
Le prince prit un verre d’eau, et le versa dans le tonneau. Aussitôt, un des cercles se brisa. Et de nouveau la voix sortit du tonneau :
— Pour l’amour de Dieu, frère ! Je meurs de soif, donne-moi encore un verre d’eau !
Le prince versa un second verre, et un nouveau cercle se rompit. Pour la troisième fois, la voix sortit du tonneau :
— Pour l’amour de Dieu, frère ! Je meurs de soif, donne-moi encore un verre d’eau !
Le prince versa un nouveau verre, et le troisième cercle éclata. Le tonneau tomba en pièces, un dragon [5] s’en échappa et prit son vol. Au passage, sur son chemin, il saisit la tsarine, et l’emporta. Les servantes coururent annoncer son malheur au pauvre prince, qui s’effondra.
Enfin, il décida de repartir, de courir le monde à la recherche de sa femme. Après un long voyage, il arriva au bord d’un ruisseau. Le longeant, dans une flaque d’eau, il aperçut un petit poisson qui se débattait. Quand il vit le prince, le poisson l’implora :
— Au nom du Seigneur, deviens mon frère juré [6] ! Rejette-moi dans mon ruisseau. Un jour, tu auras grand besoin de moi. Alors, n’hésite pas : prends une de mes écailles, et, quand la nécessité te tracassera, tu n’auras qu’à la gratter un peu.
Le prince recueillit le petit poisson, lui prit une écaille et le relança dans la rivière. Puis il rangea soigneusement l’écaillé dans son mouchoir.
Un peu plus tard, chemin faisant, il trouva un renard [7] pris au piège. Quand le renard l’aperçut, il s’écria :
— Au nom du Seigneur, deviens mon frère juré ! Libère-moi ! Un jour, tu auras grand besoin de moi. Alors, n’hésite pas : tu n’as qu’à prendre un poil de ma fourrure. Et, quand la nécessité te tracassera, tu n’as qu’à le frotter un peu.
Il arracha un poil au renard, le délivra et poursuivit son chemin.
Traversant une montagne, il découvrit un loup [8] tombé dans un traquenard, qui s’écria en l’apercevant :
— Au nom du Seigneur, deviens mon frère juré ! Délivre-moi ! Et quand lu seras dans la détresse, je t’aiderai. Prends un poil de ma fourrure et, en cas de besoin, frotte-le un peu.
Le prince lui arracha un poil, et libéra le loup. Puis il reprit sa route et voyagea longtemps encore.
Un jour, il rencontra un homme qu’il interrogea :
— Pour l’amour de Dieu, frère ! As-tu jamais entendu dire où se trouve le palais du tsar des dragons ?
L’homme le renseigna aimablement, et lui indiqua même le moment propice pour s’y rendre. Le prince remercia, poursuivit son chemin et, longtemps après, parvint à la citadelle du dragon. Et, à son premier pas dans le palais, il retrouva sa femme. Ce fut, pour eux deux, une immense joie, cette réunion. Mais il fallait aussi prévoir comment s’évader. Enfin, ils tombèrent d’accord pour s’enfuir au plus vite. A la hâte, ils s’équipèrent pour le voyage, sautèrent sur des chevaux, et les voilà partis !
Ils venaient de quitter le palais quand, sur son destrier, revint le dragon. Il entra dans son château : la tsarine n’y était plus. Le dragon prit l’avis de son cheval [9] :
— Que faire maintenant ? Manger et boire, ou bien leur courir sus ?
— Mange et bois. Ne t’en fais pas : nous les rattraperons.
Après un repas copieux, le dragon enfourcha son destrier, s’élança à la poursuite des fugitifs et les rattrapa en moins de rien. Aussitôt, il arracha la tsarine au prince, et dit à celui-ci :
— Va où Dieu te conduira. Pour cette fois je te pardonne, parce que tu m’as donné de l’eau dans la cave. Mais, si tu tiens à ta vie, n’y reviens plus !
Le pauvre prince fit un bout de chemin, mais, malade d’amour, s’en retourna. Et, le lendemain, il revint au palais du dragon. Il y trouva la tsarine, seule, toute en larmes, qui se jeta dans ses bras. Et ils recommencèrent à discuter des moyens de fuir. Le prince lui proposa :
— Quand le dragon rentrera, demande-lui où il a acquis son cheval ; et dis-le moi. J’en chercherai un semblable, qui nous permettra de nous enfuir pour de bon.
Puis, il quitta le palais.
Le dragon rentra. Sur le champ, la tsarine se mit à le câliner, à le charmer et à l’entretenir de choses et d’autres. Enfin, elle l’interrogea :
— Quel cheval rapide tu as ! Pour l’amour de Dieu, où l’as-tu trouvé ?
— Là où je l’ai eu, tout le monde ne peut l’avoir. Dans une montagne habite une vieille qui a douze chevaux au râtelier, tous plus beaux les uns que les autres. Dans un coin sombre, il y en a un qui semble galeux ; mais ce n’est qu’apparence, en fait c’est le meilleur. Car c’est le frère du mien ; et qui l’obtient peut aller jusqu’au ciel. Mais qui veut l’obtenir doit servir chez la vieille, trois jours durant. Elle possède aussi une jument avec son poulain. Et il faut les garder pendant les trois nuits. A qui réussit, la vieille permettra de prendre le cheval de son choix. Mais qui se fait embaucher par la vieille, et ne réussit pas à garder la jument et son poulain pendant les trois jours, celui-là perdra sa tête.
Le lendemain, après le départ du dragon, le prince revint. Et la tsarine lui raconta tout ce qu’elle avait appris du monstre. Alors, le prince partit dans la montagne et trouva la vieille.
— Dieu te protège, grand-mère !
— Dieu te bénisse, mon fils ! Quel bon vent t’amène ?
— J’aimerais servir chez toi.
— Bien, mon fils. Si tu parviens à garder ma jument, trois jours durant, je te donnerai un cheval à choisir. Sinon, je te trancherai la tête.
Elle l’amena au milieu de la cour : tout autour, des pieux étaient alignés. Fiché sur chacun, il y avait un crâne humain. Sauf sur un, qui criait sans trêve :
— Vieille, donne-moi une tête !
La vieille montra l’ensemble au prince :
— Tu vois, tous furent embauchés chez moi, mais ne réussirent pas à bien garder ma jument.
Pourtant, le prince ne s’effraya pas, et il resta au service de la vieille.
Le soir venu, il monta la jument et partit vers un pré ; le poulain trottait à côté. Il était resté bien en selle sur la jument quand, vers minuit, il s’assoupit, puis s’endormit. A son réveil, il chevauchait un billot, rênes en main.
Devant cette disparition, il prit peur et se précipita à la recherche de la jument. Sa quête le conduisit à une rivière. L’eau lui rappela le petit poisson qu’il avait sauvé de la flaque. Il sortit l’écaillé de son mouchoir et la frotta un peu entre ses doigts. Et soudain, le petit poisson jaillit hors de l’eau :
— Qu’y a-t-il, frère d’élection ?
— La jument de la vieille s’est échappée, et je ne sais pas où elle est.
— Ici, parmi nous : elle s’est transformée en poisson, et son petit en alevin. Frappe l’eau avec les rênes en prononçant : Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
Alors, il frappa l’eau avec les rênes :
— Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
La jument, aussitôt, reprit sa forme et escalada la rive, suivie de son poulain. Le prince la brida et la monta. Sur le chemin du retour, de nouveau, le poulain trottait à côté de sa mère.
Quand ils furent rentrés, la vieille donna à manger au prince, et mena sa jument à l’écurie, à grands coups de tisonnier.
— Catin ! Il fallait te changer en poisson !
— C’est ce que j’avais fait. Mais les poissons sont ses amis, et ils m’ont dénoncée.
La vieille l’aiguillonna :
— Alors, fais-toi renarde !
A la tombée de la nuit, le prince monta la jument et repartit vers le pré ; le poulain trottait à côté. Il était resté bien en selle sur la jument, quand, vers minuit, il s’assoupit, puis s’endormit. Et, à son réveil, il chevauchait un billot, rênes en main.
Devant cette disparition, il prit peur et se précipita à la recherche de la jument. Aussitôt lui revinrent à l’esprit les paroles de la vieille à sa bête. Il sortit de son foulard le poil du renard, le frotta un peu. Et, subitement, le renard fut devant lui.
— Qu’y a-t-il, frère d’élection ?
— La jument de la vieille s’est enfuie, et je ne sais pas où elle est.
— Ici, parmi nous : elle est devenue renarde, et le poulain renardeau. Frappe par terre avec les rênes, en prononçant : Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
Il frappa le sol avec les rênes :
— Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
Et la jument reprit sa forme, et, soudain, avec son poulain, se trouva devant le prince, qui la brida et la monta. Sur le chemin du retour, de nouveau, le poulain trottait à côté de sa mère.
Quand ils furent rentrés, la vieille servit le repas, et mena sa jument droit à l’écurie, à grands coups de tisonnier.
— Catin ! Il fallait te changer en renarde !
— C’est ce que j’avais fait ! Mais les renards sont ses amis, et ils m’ont dénoncée.
La vieille suggéra :
— Alors, fais-toi louve !
A la tombée de la nuit, le prince monta la jument et partit vers le pré ; le poulain trottait à côté. Il était resté bien en selle sur la jument, quand, vers minuit, il s’assoupit, puis s’endormit. Et, à son réveil, il chevauchait un billot, rênes en main.
Devant cette disparition, il prit peur et se précipita à la recherche de la jument. Aussitôt lui revinrent à l’esprit les paroles de la vieille à sa bête. Il sortit de son foulard le poil du loup, et le frotta un peu. Aussitôt le loup se planta là.
— Qu’y a-t-il, frère d’élection ?
— La jument de la vieille s’est échappée, et je ne sais pas où elle est.
— Ici, parmi nous : elle s’est transformée en louve, et son poulain en louveteau. Frappe par terre avec les rênes, en prononçant : Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
Avec les rênes, il frappa le sol, en répétant :
— Tout doux ! Ho ! Jument de la vieille !
Et la jument reprit sa forme, et parut devant lui, avec son poulain. Le prince la brida et la monta. Sur le chemin du retour, de nouveau, le poulain trottait à côté de sa mère.
Quand ils furent rentrés, la vieille lui servit le dîner et mena sa bête droit à l’écurie, à grands coups de tisonnier.
— Catin ! Il fallait te changer en louve !
— C’est ce que j’avais fait ! Mais les loups sont ses amis, et ils m’ont dénoncée.
La vieille, alors, rejoignit le prince.
— Grand-mère, je t’ai servie honnêtement. Maintenant, donne-moi ce qui a été convenu.
— Mon fils, qu’il en soit comme convenu. Voici mes douze chevaux. Choisis celui que tu désires.
— Pas question de choisir ! Donne-moi le galeux, qui est dans le coin sombre : les belles montures ne sont pas pour moi.
La vieille voulut le dissuader :
— Vraiment, parmi de si beaux chevaux, tu prendrais le galeux ! Mais, lui, il insistait :
— Donne-moi celui que je veux, selon notre marché !
Elle ne pouvait se dédire : et elle lui donna donc le cheval galeux. Le prince prit congé de la vieille et emmena sa monture dans la forêt. Là, il la bouchonna et la nettoya, et le cheval parut dans tout son éclat : sa robe semblait d’or. Le prince alors le monta, l’éperonna, et le cheval s’envola comme un oiseau. Et, en un clin d’œil, ils furent devant le palais du dragon. A peine entré dans le palais, il pressa la tsarine :
— Prépare-toi, au plus vite !
Rapidement, ils furent prêts, enfourchèrent le cheval et s’enfuirent, à la grâce de Dieu !
Peu après, le dragon rentra. La tsarine avait disparu. Et il demanda à son cheval :
— Que faire maintenant ? Manger et boire, ou bien leur courir sus ? Le cheval répondit :
— Que tu manges ou que tu ne manges, que tu boives ou que tu ne boives, que tu les poursuives ou que tu ne les poursuives, jamais tu ne les rattraperas.
A ces mots, le dragon sauta en selle, piqua des deux et lança son destrier à toute sa vitesse !
Quand les fugitifs aperçurent le dragon qui les talonnait, ils prirent peur, et forcèrent leur cheval à galoper plus vite encore. Mais l’animal leur dit :
— Ne craignez rien. Et cessez de fuir.
Au moment où le dragon était sur le point de les rattraper, son cheval appela celui du prince :
— Pour l’amour de Dieu, mon frère, attends-moi ! Je crèverai à te poursuivre ainsi !
— Tu es fou de porter ce monstre ! Cabre-toi un bon coup, brise-le contre un rocher, et rejoins-moi !
Alors le cheval qui portait le dragon sauta, rua, se cabra de toutes ses forces, le désarçonna et le précipita sur un rocher. Le dragon se brisa en mille morceaux, et son cheval rejoignit les amoureux. La tsarine le monta ; et c’est ainsi que sans encombre, elle gagna, en compagnie du prince, son empire, où ils régnèrent jusqu’à la fin de leurs jours.
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