Espagne – La Petite Fourmi
Une petite fourmi, soigneuse et bonne ménagère, balayait un matin le seuil de sa maison, lorsqu’elle trouva un maravédis. Elle courut aussitôt chez ses voisines et demanda :
– N’avez-vous rien perdu ? J’ai trouvé quelque chose….
Car la fourmi était honnête !
– Nous n’avons rien perdu ! répondirent les voisines.
– Que vais-je faire de cet argent ? J’achèterai bien du sucre, mais j’en ai tant mangé hier que je risquerais de me faire mal au ventre. Une mantille neuve ? Mais la mienne est bonne…. Ah ! j’ai une idée…
Et la petite fourmi s’en alla chez le parfumeur, elle acheta un peu de poudre de riz et une petite houppette. Puis comme c’était jour de fête, elle mit ses plus fins souliers, sa plus jolie robe, se coiffa, se poudra les joues et s’assit à sa fenêtre à l’ombre de son pot d’oeillets pour regarder les gens passer. Or, elle était si bien poudrée, si jolie si avenante que tous ceux qui la voyaient souhaitaient de l’avoir pour fiancée. Le premier qui osa lui parler, fut le taureau
– Petite fourmi, veux-tu m’épouser ?
– Comment ferais-tu pour me plaire ? demanda la fourmi en riant
Le taureau se mit bien d’aplomb sur ses quatre pieds, fouetta l’air avec sa queue et renversant la tête en arrière, se mit à rugir si formidablement que la maison de la fourmi se mit à trembler.
– Passe ton chemin taureau ! Tu m’épouvantes ! Si tu parles encore, je crois que je deviendrais tout à fait sourde !
Vinrent ensuite un chien jaune qui aboya, un cochon noir qui grogna, un coq vert qui chanta, un chat blanc qui miaula : mais aucun d’eux ne sut plaire à la fourmi. Enfin, s’avança un grillon timide et noir et il commença à chanter :
– Cri cri ! Tu veux m’épouser fourmi ?
– Grillon tu me plais ! Tu es noir comme moi. Tu es un peu plus grand que moi ainsi qu’il sied à un mari. Je te donne ma main. Tu aimes l’ombre, tu garderas la maison l’été quand j’irai aux provisions. Tu aimes le coin du feu ; nous nous réchaufferons ensemble l’hiver. Ensemble nous mangerons ce que j’aurai amassé et pour nous divertir, je te conterai mes courses dans le monde et tu me chanteras des chansons ! Marions-nous grillon.
Ainsi fut fait. Ils furent heureux tout un été. Mais un jour à l’automne, le grillon s’enrhuma. La fourmi le soigna, lui fit boire de la tisane. Le dimanche suivant, il était presque guéri, mais la fourmi prudente lui dit :
– Je vais seule à la messe. Il est plus sage que tu restes encore au logis. Aie bien soin en te chauffant de surveiller la soupe que j’ai mises sur le feu. Mais si tu dois la remuer, sers-toi de la grande cuillère et non de la petite, afin de ne pas te brûler.
Et la petite fourmi ayant noué son mouchoir sur sa tête et pris son chapelet, s’en fut à l’église. Hélas le grillon distrait et maladroit oublia les recommandations de sa femme. Il prit la petite cuillère, mais elle était si petite qu’il dut pour remuer la soupe, se pencher de tout son corps sur la marmite. Tout à coup, il perdit l’équilibre et bascula dans le bouillon où il mourut noyé. Pauvre grillon.
Quand la petite fourmi revint de la messe, elle vit la marmite qui chantait sur le feu, mais pas de grillon. Elle se pencha en se haussant sur la pointe des pieds et vit son pauvre mari noyé qui flottait en tournoyant dans l’écume. A cette vue, elle se mit à sangloter si fort que le petit oiseau qui passait lui dit :
– Pourquoi pleures-tu, petite fourmi ?
– Hélas grillon s’est noyé dans la marmite et moi la petite fourmi, je souffre et je pleure…
– Et moi, le petit oiseau, je me coupe la queue !
Ainsi fut fait et le petit oiseau s’envola sur le rosier fleuri
– Oiseau, petit oiseau, qu’as-tu fait à ta queue ?
– Hélas grillon s’est noyé dans la marmite et la petite fourmi souffre et pleure. Et moi, le petit oiseau, je me suis coupé la queue
– Et moi le rosier fleuri, j’effeuillerai mes roses !
Le rosier se secoua et toutes les roses tombèrent effeuillées sur le sol.
A l’heure de la sieste, le chat gris vint pour dormir à l’ombre du rosier fleuri :
– Rosier, rosier fleuri, qu’as-tu fait de tes roses ?
– Hélas, le grillon s’est noyé dans la marmite et la petite fourmi souffre et pleure ; alors le petit oiseau s’est coupé la queue et moi, le rosier fleuri j’ai effeuillé mes roses !
– Et moi le chat gris, je raserai mes poils !
Le chat gris ne fit pas la sieste ce jour-là, car il eut beaucoup d’ouvrage pour se raser tous les poils. Quand ce fut fait, il s’en alla boire à la fontaine claire :
– Chat gris, pauvre chat gris, où est ta belle fourrure ?
Hélas, le grillon s’est noyé dans la marmite et la petite fourmi souffre et pleure ; alors le petit oiseau s’est coupé la queue, le rosier fleuri a effeuillé ses roses, et moi, je me suis rasé les poils !
– Et moi dit la fontaine claire, je me mets à pleurer !
Et l’eau qui auparavant chantait, se mit à pleurer en tombant du rocher. La fille du roi, avec sa cruche sur la hanche, vint puiser l’eau de la fontaine :
– Pourquoi pleures-tu fontaine claire ?
Hélas, le grillon s’est noyé dans la marmite et la petite fourmi souffre et pleure ; alors le petit oiseau s’est coupé la queue, le rosier fleuri a effeuillé ses roses, le chat gris s’est rasé les poils, et moi, fontaine claire, je pleure !
Et moi, la fille du roi, je brise ma belle cruche !
Voilà ! Moi, c’est en pleurant que je finis mon conte car le grillon s’est noyé dans la marmite et la petite fourmi souffre et pleure…
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