Tic, Tac, Boom

Cette tribune a été publiée en version originale en allemand le 21 janvier 2014 dans The European Magazine.
Lire l’article en version allemande ici.

L’Europe joue un jeu risqué. Une bombe à retardement s’échange de mains en mains au lieu d’être désamorcée. Personne n’est là pour en prendre la responsabilité. 

Que c’est monotone, l’Europe ! On croirait entendre un métronome dans une salle vide. Tic, l’aguille balance vers le groupe des « élitistes » où des technocrates nous assomment d’un discours austère et soporifique. Tac, l’aguille bascule vers la bande des « populistes » où des petits malins s’improvisent beaux parleurs. Tic, l’aiguille revient aux élitistes et leur jargon froid et désincarné. Tac, l’aiguille retrouve les populistes et leurs attaques démagogues. Tic, les élitistes reprennent de plus bel, tac, les populistes renchérissent. Et dans ce balancement froid et monotone, on s’étonne encore naïvement que la salle soit aussi vide.

Les professionnels tranquilles de l’Europe

Que c’est ennuyeux, n’est-ce pas ? Il fut un temps où l’Europe affichait pourtant salle comble. Certes, c’était après la guerre, et les peuples européens avaient une bonne raison de se rassembler pour construire cette paix si désirée. A cette époque, on écoutait l’Hymne à la joie, harmonieuse et grandiloquente, résonner comme un futur prometteur. Mais après l’entre-acte des années 70, la salle commença à se vider. Nos professionnels de l’Europe –représentants européens, fonctionnaires- entonnèrent une nouvelle mélodie, censée plus moderne, mais basée sur le rythme un peu trop froid du marché intérieur, de la convergence économique et de l’harmonisation des normes. Dans la salle, quelques spectateurs, ennuyés, commencèrent à compter les moutons ; l’Europe, en écho, se proposa de les calibrer, les certifier et les harmoniser.

A ce moment un peu lassant, quelques spectateurs commencèrent à grommeler. On entendit d’abord quelques voix protester que la musique était mauvaise, qu’elle ne parlait pas à son public. Certains spectateurs, charismatiques, montèrent sur scène et vinrent troubler le mauvais concert. Ils déclarèrent haut et fort qu’il valait mieux quitter la salle. Dans une illusion un peu trompeuse, ils affirmèrent « dire tout haut ce que l’auditoire pensait tout bas ». On les taxa de populistes. Les professionnels de l’Europe, certains de leurs accords, poursuivirent dans leur retranchements : ils jouèrent des sonorités toujours plus expérimentales de la gouvernance économique, de l’harmonisation fiscale, du libéralisme mondial. On les taxa d’élitistes. C’est alors que le gros des spectateurs quitta la salle. Et l’on entendit résonner dans les couloirs: I want my money back !

Et nous en sommes là aujourd’hui. Doit-on blâmer les élitistes de s’être retranchés dans leur expertise ? Pas vraiment, ils on cru sincèrement bien faire, mais n’ont pas su partager leurs motivations. Ils assistent aujourd’hui impuissant à leur désaveu. Est-ce la faute des populistes alors ? Au delà de quelques opportunistes en mal de notoriété, certains pourfendeurs n’ont pas manqué de sincérité et l’adhésion qu’ils ont suscité témoigne du bien-fondé de certaines de leurs critiques. Mais au-delà de cet échange stérile entre populistes et élitistes, n’existe-t-il pas une voix médiane pour relancer le concert européen ?

Il nous faut certainement une nouvelle représentation. Une nouvelle représentation, avec des nouveaux musiciens et un retour aux accords qui ont fait l’adhésion des débuts. Au diable la technicité des musiques et le pédantisme des musiciens, jouons plutôt la sincérité : parlons simplement de ce qui nous fait vibrer en Europe. Lorsque l’on assoit un groupe d’Européens autour d’une table, la discussion ne commencera certainement pas par le sauvetage des banques, la gouvernance économique ou l’harmonisation de l’assiette de la TVA. Non, les Européens parleront de ce qu’ils ont réellement dans leurs assiettes, de comment ils trinquent dans leur pays, de comment ils fêtent Noël, de l’histoire de leur région, de leur richesse culturelle, de leur particularité historique. Ils compareront leurs similitudes, échangeront leurs anecdotes. Dans cet échange, ils ne perdront rien de leur identité, ils s’ouvriront juste à un nouvel horizon des possibles.

L’Europe des petites choses

Adaptons donc nos partitions sur ces accords. Trouvons de nouvelles inspirations politiques pour que cette Europe des petites choses deviennent celle des grandes ! Par exemple : à l’image du programme Erasmus, pourquoi n’inventerions nous pas un programme d’échange entre apprentis pâtissiers pour que circulent en Europe la Sachertochte allemande, le Paris-Brest français, la Kanelbulle suédoise ? En dépassant les géants américains de type MTV, pourquoi ne créerions nous pas de grandes chaines de télévision musicales transeuropéennes qui feraient circuler les pépites musicales de tous les pays ? Deux cents ans après les frères Grimm, pourquoi ne ferions nous plus circuler la richesse des contes et légendes de nos voisins européens ? C’est toute une Europe de l’affectif et de l’émotionnel qui est à repenser aujourd’hui. Pourquoi ne le voudrions-nous pas ?

Mais revoilà encore notre salle vide… Tic, les élitistes, Tac, les populistes. Que c’est monotone ! Le Tic-Tac régulier du métronome européen nous rappelle un jeu de société allemand, un peu anxiogène, où les joueurs s’échangent une bombe factice qui explose sans crier gare. On n’imaginerait pas une fin plus sinistre pour l’Europe. Tic, les élitistes, Tac, les populistes. Comment s’appelle ce jeu déjà ? Ah oui… Tic Tac Boum…

Back to op-eds