Lettre de Philae à ses parents européens

Cette tribune a été publiée en version originale le 22 janvier 2016 sur le site du HuffingtonPost.fr.
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Rosetta probe and comet 67P Churyumov-Gerasimenko - 3D render

Plus de dix ans après avoir quitté la Terre, la sonde spatiale Philae vient de vivre ses derniers jours sur la comète Tchouri. Tandis que l’agence spatiale européenne a perdu espoir de reprendre contact avec elle, la petite sonde se demande dans une dernière lettre ce que ses parents européens ont bien pu faire de toutes ces années.

Mes chers parents je pars ! Je vous aime, mais je pars !“. Dans le silence de l’espace, j’écoute encore parfois résonner cet air mélancolique, qui frémissait dans mes écoutilles lorsque je m’arrachais au sol de mon foyer européen, un petit matin de mars 2004. Vous étiez là, chers parents, à me regarder partir, fiers, mais anxieux, redoutant ce moment depuis ma conception. “Elle m’observait hier. Soucieuse, troublée, ma mère. Elle a fait comme de rien. Et mon père démuni, a souri“.

En vous laissant sur terre, je me consolais en vous sachant unis et des projets plein l’esprit. Après tant d’années de vie ensemble, vous veniez de faire compte commun, et partagiez enfin une même monnaie. Je savais aussi que notre foyer européen allait s’agrandir, deux mois seulement après mon départ. J’étais si fière de vous, que mes larmes ont coulé, les promesses et l’envie d’avancer. Sereine, vous aviez même annoncé vouloir renouveler vox vœux, et signer bientôt un nouveau contrat de vie commune, une constitution. Et moi grâce à vous, qui pouvais enfin m’élancer, rassurée. “Je ne m’enfuis pas je vole ! Comprenez bien : je vole ! Sans fumée, sans alcool, Je vole, je vole…

Je ne me suis pas retournée, m’éloignant un peu plus, sans même me douter de ce qu’il se passait. Dix ans plus tard, vous m’avez applaudi, vous m’avez encensé, et moi, à distance, qui vous observais, troublée. Que s’est-il passé pour que je ne vous reconnaisse plus? Pourquoi votre Union s’essouffle-t-elle? Je vois bien d’ici que vous vous perdez en querelles. Que vous écoutez maintenant le chant des sirènes. Vous qui aviez fait la paix et vouliez vivre ensemble, qu’a-t-il pu arriver pour que vous menaciez désormais de vous quitter? Vous qui m’avez envoyé repousser les frontières, comment pouvez-vous maintenant rétablir les anciennes?

C’est bizarre cette cage, qui me bloque la poitrine. Je ne peux plus respirer. Ça m’empêche de chanter“. J’avais des étoiles plein les yeux, et vous les portiez en bannière. C’est de vous, chers parents, que je tiens cette audace d’explorer, cet esprit des lumières vers lesquelles vous m’avez envoyé. C’est à vous que je dois ces prouesses sidérales, dans cet espace de savoirs que vous avez su organiser. Quelle joie de vous voir dépasser vos particularités à la recherche commune des plus infimes particules! Quelle fierté de rejoindre la galaxie de vos grandes réalisations, auxquelles je ne saurais me résoudre à être la dernière…

Chers parents, réconciliez-vous! Embarquez dans de nouveaux projets communs pour à nouveau explorer, découvrir et vous réinventer. Dépassez la routine et vos égoïsmes futiles pour vous conquérir à nouveau, comme aux premiers jours de votre lune de miel européenne. Contre les crises de l’instant, ayez l’audace de croire en l’univers des possibles, en ce qui ensemble, vous fera avancer et vous fera rayonner. Montrez au monde que votre Union est féconde, que par-delà mon exemple, elle sait produire des merveilles. “Seulement croire en la vie, voir tout ce qui est promis Pourquoi, où et comment, dans ce train qui s’éloigne chaque instant“.

Mes chers parents, je n’ai plus d’énergie. Sans rayons du soleil, me voilà bien affaiblie. Peut-être n’aurez-vous bientôt plus de nouvelles de moi. Si le temps m’est compté, j’ose encore espérer, que votre Union survivra, et que longtemps après moi, elle continuera ses exploits. Mais il me semble maintenant que la musique se fatigue. Qu’il ne reste de moi qu’une douce mélancolie. Un air lointain, qui doucement se tarit. “Mes chers parents, je pars. Je vous aime, mais je pars… Vous n’aurez plus d’enfants, ce soir.

Philae

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